PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DES ÉTUDES SUR PARO, LE ROBOT ÉMOTIONNEL

Homme âge qui caresse une peluche

Le Groupe AESIO Santé a lancé en 2016 une étude inédite de 18 mois, grâce au soutien de la Fédération Nationale de la Mutualité Française et de la Fondation Paul Bennetot, dans 11 établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes*, accueillant près de 1000 personnes âgées.

Les objectifs : observer les usages et les non usages du robot Paro en EHPAD,  expérimenter et évaluer l’impact du robot émotionnel  sur le lien social entre les résidents, le personnel soignant et les aidants et analyser les possibles effets du robot sur la douleur induite par les soins chez les personnes âgées souffrant de troubles cognitifs.

Ces études sont menées en parallèle dans les résidences mutualistes. Elles se sont intéressées particulièrement au trio résident – soignant - aidant : le résident, dans l’objectif d’améliorer sa prise en charge et sa qualité de vie au sein des établissements mutualistes, le soignant dans celui d’améliorer ses conditions de travail grâce à de nouveaux outils, et enfin l’aidant, la famille dans la plupart des cas, pour les soutenir dans leur rôle d’accompagnement.

 

Les résultats de l’étude menée sur le robot PARO par AESIO Santé sont nombreux et ce document regroupe l’ensemble des analyses menées par trois groupes de recherche (MADoPA, LUSAGE et P2S). Afin de conclure sur cette étude innovante, une synthèse est proposée dans cette dernière partie.

1.  Du « Royaume des Robots » vers 11 EHPAD en France

Le robot PARO est un robot thérapeutique développé en 1993 par l’équipe du Dr Shibata pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et apparentées. Comme précisé en introduction de ce document, son efficacité a été montrée dans plusieurs études, notamment sur la diminution du niveau de stress, la communication et le renforcement des liens sociaux (Wada, et al., 2005 ; Wada et Shibata, 2008). L’idée que les robots occupent une place particulière dans la culture japonaise est bien connue et reçoit une attention critique et scientifique. Dans les années 1980, le Japon a été nommé « Royaume des Robots » (« Robot Kingdom ») (Schodt, 1988) pour marquer son leadership mondial en robotique industrielle et sa propension apparemment unique à accepter des compagnons robotisés. Aujourd'hui, le Japon est considéré comme un lieu où les gens « aiment la machine » et les robots sont des « amis inestimables » (Hornyak, 2006). Certains chercheurs soulignent des spécificités culturelles tel que l’animisme shintoïste et les représentations médiatiques favorables des robots afin d’expliquer cette image positive des robots au Japon (Geraci, 2006 ; Kaplan 2004 ; Kitano, 2006). La recherche interculturelle sur les perceptions des personnes à propos des robots et la compréhension de la relation entre robotique et culture au Japon ont été discutées dans (Sabanovic 2014).

Les fondements culturels et sociaux de la conception et de l’utilisation de PARO suggèrent une conscience grandissante de la nature sociale des robots et de leur efficacité au quotidien au Japon. Par exemple, la conception de PARO incarne des modèles culturels de compétence, de qualité, de construction relationnelle de valeur et d'appréciation dans le cadre d’une technologie robotique émergente. Ainsi PARO peut être vu comme une plateforme de recherche, un outil thérapeutique, un outil, ou encore un acteur social avec lequel les gens construisent des relations personnelles. La signification culturelle de PARO est donc construite par un réseau diversifié d’acteurs, en particuliers chercheurs en robotique, ouvriers, machines, artisans et utilisateurs, tous contribuant aux nouvelles cultures robotiques locales et mondiales à travers l'assemblage répété de leurs propres pratiques quotidiennes et croyances.

Alors que les chercheurs en robotique au Japon ont porté une attention particulière à la culture dans le cadre du développement technologique, celle-ci repose largement sur des hypothèses culturelles non testées et non questionnées. Une vision plus critique du développement de la « culture robotique » comme processus d'assemblage répété suggère que la recherche en robotique devra tenir compte de « solutions culturelles » (Layne, 2000) – en explorant des significations alternatives en lien avec des contextes culturels particuliers – pour identifier et résoudre les problèmes sociotechniques contemporains et développer des bénéfices sociaux et des applications significatives pour les technologies robotiques.

 

La recherche menée dans la cadre de ce projet s’inscrit dans ces prérogatives, permettant ainsi d’explorer la complexité de l’intégration d’un robot compagnon dans un environnement qui est paradoxalement réfractaire à plusieurs égards, mais qui a également tout à gagner dans l’utilisation du robot PARO.

2.  Accepter PARO et l’intégrer naturellement dans l’environnement

L’acceptation du résident, prérequis indispensable. Afin de créer l’univers de jeu dans lequel le bénéfice de l’utilisation de PARO sera optimal, un premier facteur important concerne les dispositions du résident. Tous les résidents ne sont pas sensibles de la même manière, certains le refusent catégoriquement, d’autres ont conscience qu’il s’agit d’un robot, d’autres encore sont dans un état de confusion qui ne leur permet pas d’identifier l’objet de façon claire.

Un usage à la frontière de l’animation, du nursing et du soin est optimal. Les utilisateurs du PARO, soignants ou résidents, « jouent le jeu » : ils savent qu’il ne s’agit ni d’un animal, ni d’une personne, mais ils se laissent aller à une projection empathique avec cet objet relationnel et émotionnel. PARO est un objet hybride et il ne semble pas être utile d’entrer dans une parodie protocolisée le présentant uniquement comme un animal ou comme un objet thérapeutique. L’usage du PARO se situe à la frontière de l’animation, du nursing et du soin : l’absence de frontière claire semble être un facteur favorable à l’usage. Des risques concernant l’isolement que peut induire l’utilisation de PARO ont également été soulignés, et ce à plusieurs niveaux : concentration sur une activité avec PARO, mais aussi mise à l’écart par les autres résidents en tant que personne infantilisée et/ou infantilisable.

Faire de PARO un objet familier du quotidien. Enfin, il n’est pas naturel d’utiliser PARO du fait de divergences culturelles présentées précédemment : l’objet est inhabituel, coûte cher : au lieu de le mettre à disposition dans l’environnement de vie, les soignants ont tendance à le sécuriser dans un espace inaccessible pour les potentiels usagers. En ce sens, PARO pourrait devenir un objet de l’espace commun, à la même enseigne que la télévision. Certains usages montrent que l’on peut utiliser le PARO allumé ou éteint, chargé ou déchargé.

3.  Des effets bénéfiques tant sur la relation que sur la prise en charge médicale

PARO remplit sa fonction, tant au niveau relationnel que médical. L’évaluation des usages conduites confirme tout en la nuançant considérablement les promesses du fournisseur. On observe effectivement un effet positif de PARO sur le comportement, le bien-être, voire le lien social des résidents. PARO canalise la crise, mais à condition d’intervenir au début de la crise. PARO attendrit, console, déclenche la parole, éveille la curiosité et l’intérêt des résidents, mais pas tout le temps. Enfin, PARO ne fonctionne pas sur tous les résidents : une stabilité de refus s’observe chez les résidents qui ont la phobie des animaux ou qui refusent, selon eux, d’être infantilisés.

PARO favorise la communication. Concernant la relation entre résident et soignant, le robot est un facilitateur de l’interaction et augmente notamment les tours de paroles (hypothèse partiellement validée). La présence du robot favorise les échanges de regards, l’expression des émotions, l’usage du toucher et le rapprochement physique entre soignant et résidant. Enfin, le robot a un effet visible sur les résidents qui sont plus enthousiastes et manifestent davantage d’interactions à valeur positive, mais les interactions ne sont pas plus nombreuses.
PARO permet de diminuer les manifestations douloureuses grâce à son effet distracteur vis-à-vis de la situation aversive de soin. L’impact clinique de PARO dans cette étude est d’autant plus important puisqu’à ce jour peu d’interventions non médicamenteuses existent pour soulager la douleur aiguë des personnes âgées atteintes de démence accueillies en institution. L’effet positif de PARO sur la douleur vient ainsi répondre à un réel besoin des équipes de soins dans les institutions accueillant des personnes avec démence. Cependant, l’intervention robotique n’a pas permis une diminution de la prise d’antalgique des résidents.

4.  PARO, agent perturbateur de la relation entre résident et soignant ?

Des soignants motivés favorisent le succès de PARO. Les soignants utilisant le plus PARO ont pour point commun de définir le soin comme une pratique d’ensemble, « d’accompagnement », qui prend en compte la personne âgée dans sa globalité. Il s’agit souvent de soignants particulièrement intéressés par les moyens non médicamenteux. Ils mettent aussi en valeur leur volonté de cultiver une « bonne ambiance » dans l’établissement, tant pour les résidents que pour le bon déroulement de leur activité professionnelle. Cette articulation entre une définition du soin comme « accompagnement » et l’utilisation régulière de PARO se retrouve en particulier dans les petites unités de vie, où les soignants développent une connaissance particulièrement fine des résidents, de leurs comportements et de leurs habitudes.

PARO doit entrer dans une nouvelle triade Résident-Robot-Soignant et ne pas devenir perturbateur. La communication verbale et non verbale entre le soignant et le résident est améliorée au détriment de la relation humaine avec le soignant. En effet, le robot prend en charge une partie des interactions, alors le soignant se sent dépossédé d’une part de son activité, qui est centrale : la relation au soigné. Un paradoxe émerge alors, les soignants se décrivent comme envieux du robot qui leur prend une part de leur activité, mais laissent eux-mêmes le robot travailler à leur place. Une tension a été identifiée entre le soignant et le robot, incidente sur la relation entre le soignant et le résident. Les rôles semblent être inversés entre le soignant et le résident en présence de PARO. Les soignant ont donc peu de contrôle sur le robot et la situation. Les résidents plus engagés et plus actifs déstabiliseraient les soignants qui se sentent dépossédés de leur rôle de « prendre soin » qui est au cœur de leur métier.

Même rejeté par certains soignants, PARO reste un outil efficace. Cette étude avait aussi pour but d’apporter aux soignants une nouvelle stratégie innovante de gestion des manifestations douloureuses des résidents avec démence. Les analyses ont mis en évidence que les soignants jugeaient PARO comme « pas du tout », « un peu », ou « moyennement » apprécié par les résidents. Une proportion importante de soignants ne rapportait également « pas du tout » d’utilité perçue du robot pour l’apaisement de la douleur des résidents. Cette évaluation des soignants apparaît discordante avec l’impact clinique positif. L’introduction de PARO qualifié de « robot relationnel » au sein de la relation soignant/soigné vient bousculer les valeurs et l’identité professionnelle soignante issue de l’éthique du soin. L’empathie était identifiée par les soignants comme la valeur la plus importante de leur métier afin de permettre une relation soignant/soigné, d’où l’incompréhension de la relation robot/patient et de son efficacité auprès d’eux.

 


Pour toutes ces raisons, il convient d’apporter une attention particulière au sentiment de dévalorisation du travail des soignants que peut impliquer l’introduction de PARO. La création du « cadre ludique » est une solution possible à ce travers. Lorsque les trois pôles de la relation triadique sont présents, que le résident est apte à entrer dans le jeu, que le soignant s’est approprié le robot pour pouvoir se sentir libre d’user de ses propres stratégies et que l’environnement est favorisant par une mise en place de temps dédiés au robot par exemple — alors un monde particulier, un univers commun se crée. Cet espace est particulièrement décrit dans le discours des AS et semble un élément central de la relation soignant-résident en présence de PARO.

5.  Une organisation en EHPAD à repenser pour intégrer PARO

PARO ne peut être introduit sans une organisation adéquate. Le problème organisationnel a été souligné dans les trois études de ce programme de recherche ainsi que dans les focus groups. En particulier, les objectifs et les cadres de l’usage pour l’amorçage sont importants et doivent être négociés collectivement (sans pour autant faire l’objet d’un protocole à respecter strictement). La présence d’espaces où les soignants peuvent échanger sur PARO et mettre en commun leurs expériences semble primordiale pour en favoriser les usages, et permet aussi de faire émerger de nouvelles idées ou de nouvelles situations pour l’utiliser. Ainsi, alors que certains soignants se sentent isolés et s’estiment « un peu perdus » face à PARO, les soignants qui ont le sentiment d’être accompagnés dans leurs usages l’utilisent fréquemment.

Le contexte tient une grande place dans le processus de l’appropriation. Il a été démontré que l’environnement constituait un frein de la relation entre l’aide-soignant et le résident. Les résultats montrent que les soignants éprouvent des difficultés d’ordre organisationnel, notamment par le fait qu’ils ne soient pas remplacés pour le reste de leur activité lorsque ceux-ci prennent du temps pour mettre en place l’activité avec PARO. Ce constat est également vrai pour toute autre activité d’animation en général, ce qui tend à montrer que l’aspect innovation technologique n’est pas en cause ici. Ceci mène à l’apparition de tensions, notamment concernant la division de travail. C’est principalement le manque de temps qui crée une tension. En effet, les soignants se confient sur le fait qu’en dehors de la recherche, ils éprouvent des difficultés à libérer du temps pour ce genre d’activité.

Un sentiment de perte de temps, mais des soins objectivement plus efficients avec PARO. Dans le cadre des soins, PARO a induit un allégement de la charge de travail subjective des soignants concernant les dimensions suivantes : l’attention requise par le soin, l’effort mental et physique global, la frustration des soignants à la fin du soin et leur niveau de performance estimé. En revanche, l’intervention avec PARO n’a pas eu d’impact sur la pression temporelle ressentie du soin. L’aspect temporel du soin revêt une grande importance puisque l’une des visées de cette étude était que l’utilisation d’un outil supplémentaire lors du soin n’ajoute pas de pression temporelle aux professionnels.
Ces résultats semblent contradictoires, mais soutiennent l’importance de l’appropriation pour l’usage des nouvelles technologies. Il est primordial que les soignants s’approprient le robot non comme un outil à mobiliser uniquement dans le cadre d’une activité médiatisante ou en cas de crise, mais également comme un support pour favoriser le mieux-être et la qualité de vie des résidents. Particulièrement, l’incidence du robot, par l’utilisation qui en est faite et par la fonction qui lui est assignée, sur la nature et la qualité des relations sociales entre résidents et soignants.
PARO fonctionnera particulièrement bien dans un environnement où le personnel référent est stable et les usages bien identifiés. Inversement, le turn-over du personnel et un usage ouvert à l’ensemble de l’EHPAD semblent constituer des freins à l’intégration du PARO dans les pratiques professionnelles.

6.  Conclusion générale

Au-delà des résultats présentés par les différentes équipes de recherche, l’introduction de PARO dans 11 EHPAD a généré de nombreuses expérimentations qui constituent un ensemble de données très riche. Ces recherches ont permis de valider un grand nombre d’effets bénéfiques de PARO tant sur le plan des soins que de l’accompagnement du résident, mais également de produire des recommandations afin de favoriser les situations de succès lors de futures implantations dans d’autres établissements. En particulier, outre l’acceptation du résident, l’appropriation par le soignant et/ou l’aidant dans le cadre d’un environnement favorable est un facteur clé du succès de PARO, qui ne doit pas perturber mais au contraire compléter la relation entre le résident et le soignant. Une organisation et un pilotage appropriés doivent accompagner le déploiement de l’innovation, afin que soignants se retrouvent dans une situation favorable et non dans une nouvelle contrainte, dans un environnement professionnel déjà très difficile. Une organisation efficiente permettra de valoriser le temps du soignant, tandis qu’un pilotage intelligent permettra de mieux identifier les situations propices à l’usage de PARO, particulièrement utile à un personnel soignant « expérimenté » dans l’usage du robot au sein de petites unités de vie. Enfin, un management efficace de l’établissement possiblement accompagné de formations est la dernière pièce maîtresse qui permettra de créer un contexte propice au succès de PARO en créant une unité du personnel soignant autour de cette innovation technologique.